Ne pas jeter sur la voie publique de Claire Bourely
Je m'appelle Camille Richard, j'ai trente-neuf ans et quinze mois, et je ne sais pas qui je suis. Je mesure un mètre soixante-douze, auxquels je rajoute un demi-centimètre que j'ai gagné un jour, comme à une loterie, chez un médecin remplaçant, et je pèse quatre-vingt-dix kilos. De face, j'ai un air oriental, mon profil gauche est germain et le droit me donne un petit côté british qui ne m'est pas désagréable. Mon allure générale est celle d'un pur français, paumé, mal foutu, de ceux qu'on peut croiser dix fois dans la même journée et ne s'en rendre jamais compte. Je ne sors pas beaucoup, sans doute pour préserver mon sens de l'exception, ou plutôt pour éviter de croiser les regards de ceux qui ne me voient pas.
Ces premières lignes du roman vous donnent une assez bonne idée de l'intrigue comme du style.
L'histoire, elle, est finalement assez classique ; un homme, son parcours, ses rencontres... Parcours atypique, c'est certain, mais comme on peut en voir souvent dans les romans.
Ce qui m'a vraiment plu, ici, c'est l'écriture et le ton. Les phrases s'enchaînent de façon fluide, et souvent j'ai souri, non pas à un passage amusant (bien qu'il y en ait), mais à certaines formulations, certaines tournures de phrase particulièrement bien trouvées, ou qui donnent à l'ensemble du passage un ton du genre de ce début que je vous ai copié.
Le héros semble détaché, mais j'ai eu l'impression qu'il était plutôt un genre de "clown triste", voyez? On peut penser de prime abord qu'il est simplement cynique, mais je crois plutôt qu'il fait partie de ceux qui n'extériorisent pas leur souffrance, qui font comme si rien n'était si grave tout en étant assez désabusés.
Un personnage intéressant, donc, servi, surtout, par un vrai style.