Les facéties du sapeur Camember de Christophe
Les facéties du sapeur Camember ou l' « histoire naturelle, véridique et compilatoire d'un sapeur qui portait la hache et le tablier à la fin du Second Empire. — Si l'auteur a choisi cette époque, ce n'est pas qu'il y ait été poussé par des considérations politiques c'est simplement afin d'avoir l'occasion et le prétexte d'orner l'occiput de son héros d'un de ces triomphants bonnets à poil, dernier écho de ceux qui furent les panaches blancs de la Grande Armée. — On admirera combien il a fallu de génie à l'auteur pour faire du neuf avec du vieux. — On y verra également comme quoi ce n'est pas sans avoir passé beaucoup de temps à l'ombre que le héros de ce remarquable ouvrage parvint à épouser mam'selle Victoire, ce soleil resplendissant de toutes les vertus domestiques. »
Ainsi Christophe présente-t-il son héros, dont nous découvrons avec le plus grand plaisir l'enfance puis l'âge adulte. Tout petit déjà, Ephraïm Camember donne du fil à retordre à ses parents à l'école (il ne reconnaît que la lettre H en leçons de lecture par exemple) puis ses nombreux et divers essais comme apprenti au village se soldent immanquablement par de cuisants échecs.
Fort étourdi, un peu canaille et réfractaire au moindre effort, « on n'ose prévoir comment tout cela aurait fini » si le jeune homme n'avait été appelé comme conscrit. Bien vite promus sapeur par on ne sait quel miracle, Camember vit une vie riche en péripéties aux côtés de son colonel, de la colonelle, du major Eusèbe Mauve, de la bonne Victoire et du conscrit Cancrelat.
La gouaille du sapeur, son "bon sens" pour le moins farfelu et son esprit farceur font le sel de ses aventures, jamais méchantes mais toujours drôles. Christophe les a d'abord publiées dans un journal pour écoliers, mais je gage que les adultes souriront beaucoup eux aussi à la lecture de ces planches. 122 ans après sa naissance sous la plume de Marie-Louis-Georges Colomb dit Christophe, papa également de la famille Fenouillard, le sapeur Camember me donne toujours le sourire.
Rééditées dans les années 60 en un seul ouvrage, les facéties du sapeur Camember ont été à nouveau publiées dans les années 90, dans une version plus luxueuse et surtout colorisée.
Pour un premier aperçu de cet ancêtre de la BD, les planches initiales, en noir et blanc donc, sont libres de droit et consultables en ligne sur le site Gallica de la Bnf.
Je termine ce billet avec un extrait de la plaidoirie de maître Bafouillet, avocat de Camember : « La vie, hélas ! N'est qu'un tissu de coups de poignard qu'il faut savoir boire goutte à goutte et, je le dis hautement, pour moi le coupable est innocent ! ».
Billet précédemment publié sur le Biblioblog.
Une petite planche trouvée sur http://aulas.pierre.free.fr/chr_cam_int.html, le site d'un passionné, qui a pris le temps de retaper le texte et de scanner les images des premières publications désormais libres de droit :
Camember complimente la colonelle.
Les jours où chez le colonel on fait à fond le salon, Camember est appelé à l'honneur de frotter les meubles, ce qu'il fait avec toutes l'ardeur dont il est capable, en chantant :
Petits voiseaux qui-z'-êtes dansle feuillâââge… etc.
Tout à coup le sapeur s'arrête et demeure en contemplation devant un tableau à lui inconnu et qui orne depuis peu les murs du salon. Puis il appelle son Égérie, mam'selle Victoire, pour lui demander quelques éclaircissements complémentaires.
« Gomment, mossieu Gamempre ! fous ne foyez pas gue c'est la golonelle qu'elle a fait direr son bortrait par un peintre te paysages qu'on tit qu'il fait drès bien les animaux ? — Ça ne l'empêche pas d'avoir joliment raté la colonelle ! » dit Camember.
LA COLONELLE (survenant). — Eh ! bien, Victoire, comment trouvez-vous mon portrait ?
VICTOIRE. — Matame tésire safoir ma bensée ?
LA COLONELLE (inquiète). — Mais… je vous en prie !
VICTOIRE. — Eh pien ! che ne le droufe pas choli, choli !
CAMEMBER (bondissant). — Oh ! mam'selle Victoire… Si on peut dire des choses aussi nain vert sans barbe (invraisemblables, probablement)… C'est pt'être vrai que ce n'est pas joli, joli… mais, avouez que c'est rudement ressemblant… avouez-le. »
CAMEMBER, d'un ton paternel, à mam'selle Victoire. — Mais, mam'selle Victoire, faut jamais dire aux dames que leur poquetrait il n'est pas joli… ça les fâche… et vous avec eu une fière chance que le sapeur se soye trouvé là pour vous rabibocher les choses.