La religieuse de Denis Diderot
Un de ses amis, le marquis de Croismare, s'étant intéressé au sort d'une jeune femme qui demandait à sortir du couvent où elle avait été placée contre son gré, Diderot eut l'idée facétieuse, en 1760, de lui adresser des lettres prétendument écrites par la religieuse qui lui demandait secours. Le marquis tomba dans le piège, une correspondance s'ensuivit, et l'écrivain, pris à son propre jeu, finit par composer les mémoires que Suzanne Simonin était censée avoir écrits à l'attention de Croismare.
Suzanne commence ses mémoires par l'évocation de son enfance et le rejet de ses parents à son égard. A l'adolescence, elle finit par apprendre qu'elle est une enfant adultérine, et que c'est pour cette raison que celui qu'elle pensait son père ne supporte pas sa présence, et que sa mère est froide et distante. C'est pour expier le péché de sa naissance qu'elle est envoyé au couvent. Commence pour elle une nouvelle vie, faite d'ennui, mais aussi et surtout de persécutions, d'humiliations et de toutes sortes d'autres formes de violence morale.
La première chose qui frappe dans ce roman, c'est la modernité du style de Diderot. Moi qui m'attendais à une écriture un peu absconse, ou au moins emberlificotée, j'ai été bien agréablement surprise!
La seconde, c'est les sensations qu'on peut éprouver à sa lecture : j'ai vraiment eu froid dans le dos! Suzanne découvre un monde où les bassesses, les mesquineries, les jeux d'intrigues pour le pouvoir sont décuplés du fait du vase clos que constitue le couvent. Dans un monde qui devrait être celui de la prière et de la bienveillance, la jeune fille va faire l'expérience de tous les vices de la nature humaine. Elle rencontrera des menteurs, des cruels, des sournois, des manipulateurs...
Là où Diderot est habile, c'est qu'il ne fait pas de Suzanne une jeune fille opposée au religieux. Elle a la foi, elle est pieuse, elle ne rejette pas en bloc le monde de l'Eglise. C'est ce qui fait la force de son plaidoyer : c'est bel et bien la vie au cloître qu'il dénonce, et surtout les horreurs qui peuvent s'y passer. C'est sur le scandale de l'entrée forcée dans les ordres qu'il veut faire jour. C'est glaçant de penser que tant de personnes ont pu subir une vie comme celle de Suzanne, et Diderot réussit parfaitement à faire ressentir cette injustice au lecteur.
Ce billet entre dans la catégorie : "auteur enterré à Paris", même si l'Eglise Saint Roch où il a été inhumé a été profanée à la Révolution.
L'avis de Maggie est à lire ici.