Entre ciel et terre de Jon Kalman Stefansson
« Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d’autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le coeur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires ».
Parfois à cause des mots, on meurt de froid. Comme pour Bardur, pêcheur à la morue islandais, il y a un siècle. Trop occupé à retenir des vers du Paradis Perdu de Milton, il oublie sa vareuse en partant en mer. De retour sur la terre ferme, son meilleur ami entame un périlleux voyage pour rendre à son propriétaire le livre funeste. Pour savoir aussi s’il veut continuer à vivre.
Dieu que c'est beau! Jon Kalman Stefansson est semble-t-il un écrivain connu et reconnu dans son pays, mais c'est le premier roman de cet auteur islandais qui est traduit en français. J'espère qu'il y en aura d'autres, parce qu'un style aussi riche, aussi poétique, aussi diablement capable de vous plonger dans un univers en particulier, j'ai vraiment envie de le lire plus souvent!
Bardur et son meilleur ami, toujours appelé "le gamin", sont deux jeunes marins de la fin du XIXe siècle. Il faut bien vivre, mais ils ne sont pas faits pour cette mer tumultueuse, qui n'accepte que ceux qui se passionnent pour elle, et encore. Eux, leur vie, c'est la littérature. Le gamin tient cette passion des mots de ses parents. Bardur, lui, est ami avec un vieux capitaine devenu aveugle et qui ne peut donc plus vivre ses deux amours : la mer et les livres. Le vieux loup de mer prête donc ses livres (400!! plus que le gamin ne parvient à s'imaginer) à quelques privilégiés comme Bardur.
On est plongé dans un monde rude, simple, celui de marins du siècle dernier, dans ce pays si éloigné de tout qu'est l'Islande. La vie n'est pas facile et les occupations peu nombreuses. Les relations entre les gens sont celles des petites communautés, avec les jugements, les rancoeurs, les marginaux...
Malgré ce portrait pas forcément réjouissant, Jon Kalman Stefansson a parfaitement réussi à me donner envie de découvrir son pays, ces paysages brumeux, et Le Paradis perdu de Milton!
Des milliers de remerciements à Lise des éditions Folio, grâce à vous j'ai fait une splendide découverte!
Le tout début du roman :
"C'était en ces années où, probablement, nous étions encore vivants. Mois de mars, un monde blanc de neige, toutefois pas entièrement. Ici la blancheur n'est jamais absolue, peu importe combien les flocons se déversent, que le froid et le gel collent le ciel à la mer et que le frimas s'infiltre au plus profond du coeur où les rêves élisent domicile, jamais le blanc ne remporte la victoire. Les ceintures rocheuses des montagnes s'en délestent aussitôt et affleurent, noires comme le charbon, à la surface de cet univers immaculé. Elles s'avancent, saillantes et sombres, au-dessus de la tête de Bardur et du gamin au moment où ceux-ci s'éloignent du Village de pêcheurs, notre commencement et notre fin, le centre de ce monde. Et ce centre du monde est dérisoire et fier. Ils avancent à vive allure - juvéniles jambes, feu qui flambe - , livrant également contre les ténèbres une course tout à fait bienvenue puisque l'existence humaine se résume à une course contre la noirceur du monde, des traîtrises, la cruauté, la lâcheté, une course qui paraît si souvent tellement désespérée, mais que nous livrons tout de même tant que l'espoir subsiste".
L'avis de Gambadou.