Boléro noir à Santa Clara de Lorenzo Lunar
En vingt-quatre heures et une centaine de pages, s'accumulent des années de souvenirs et d'anecdotes de la vie à El Condado un barrio de Santa Clara, une ville de province à Cuba. Une concentration du temps et de l'espace, impensable pour les romanciers de La Havane où la métropole dilue tout. Mais aussi une sublimation de la marginalité dans le creuset infernal du barrio. L'une et l'autre donnent toute sa profondeur et son authenticité au regard ironique et attendri que porte Lorenzo Lunar sur le processus de banalisation de la marginalité dans la société cubaine et les codes, les comportements et les souffrances qu'il impose.
Je vais vous résumer un peu l'histoire à ses débuts, parce qu'on ne peut pas dire que cette 4e de couv ne vous renseigne des masses...
Leo a grandi à Santa Clara, à Cuba. Au grand étonnement de tous et surtout de lui-même, il est devenu flic, dans ce quartier où le quotidien est fait de trafic, vol, prostitution et larcins en tout genre. Son sombre quotidien est un jour vilainement chamboulé : c'est Cundo qu'on a retrouvé mort, le vieux Cundo, le poivrot du quartier que tout le monde aimait bien, et qui a vu grandi Leo.
Dans ce bref roman, ce n'est pas tant l'intrigue qui prime ; certes, Leo s'échine des premières aux dernières pages à trouver qui est l'assassin de son vieil ami, mais ce roman me semble être plus un "polar" qu'un "policier", au sens où je l'entends (vision très discutable, mais je ne sais comment l'expliquer de façon définitivement objective).
On lit en effet Boléro noir à Santa Clara avant tout pour une ambiance, pour les instantanés du quotidien de ce quartier marginal, peu sécurisant mais grouillant de vie. Tout se déroule sur une journée, et pourtant on a l'impression de découvrir toute la vie de ces Cubains.
Le style est à l'image du lieu : familier, sans ambages. Je vous livre les toutes premières phrases du roman, qui donnent le ton :
"Vivre dans ce quartier, ça te fout les boules.
Tu y nais, tu y grandis, tu y fais ta vie, et puis finalement tu te dis que vivre ici, ça te les brise. Sérieux.
Le quartier est un monstre, comme dit mon pote el Puchy.
Le quartier, il te réduit en purée, il te brinqueballe, t'éduque, te pousse, te relève, te jette à terre et te piétine.
Il fait de toi un homme ou un débris."
Je n'ai pas été totalement emballée par ce roman, parce que je pensais lire un roman policier, où l'enquête aurait donc été au premier plan ; mais, mise à part cette attente déçue, j'ai bien apprécié ce talent de quasi photographe de l'écrivain.
A noter que ce roman a été publié aux éditions L'atinoir, spécialisées dans le roman noir latino-américain (vous me croyez si je vous dis que c'est en écrivant ce billet que j'ai percuté pour le jeu de mots...) et dont le conseiller littéraire n'est autres que Paco Ignacio Taibo II (toujours pas lu, mais Ekwerkwe en a tant vanté les mérites!).