Sarinagara de Philippe Forest
Sarinagara signifie cependant. Ce mot est le dernier d'un des plus célèbres poèmes de la littérature japonaise. Lorsqu'il l'écrit, Kobayashi Issa vient de perdre son unique enfant : oui, tout est néant, dit-il. Mais, mystérieusement, Issa ajoute à son poème ce dernier mot dont il laisse la signification suspendue dans le vide.
Cette énigme est l'objet du roman, convergence de trois histoires: celles de Kobayashi Issa, le dernier des grands maîtres dans l'art du haïku, de Natsume Sôseki, l'inventeur du roman japonais moderne, et de Yamahata Yosuke, qui fut le premier à photographier les victimes et les ruines de Nagasaki. Ces trois vies rêvées forment la matière du roman qui interroge à son tour la manière dont un individu peut parfois espérer survivre à l'épreuve de la vérité la plus déchirante.
Issa, le poète, est un vieux type concupiscent, aux dents gâtées, qui s’amuse à pisser dans la neige plutôt qu’à écrire des poèmes ronflants sur la pureté des flocons ;
Sôseki rentre de son voyage en Angleterre avec la certitude « d’avoir éprouvé jusqu’au vertige l’incapacité de son esprit à comprendre l’énigme insoluble du monde » ;
Yamahata confie « comment, dans les ruines de Nagasaki, il n’avait en vérité rien éprouvé : aucune pitié, aucune émotion, le froid fonctionnement de toutes ses capacités mentales, la plus stricte insensibilité devant le sort insoutenable auquel les autres se trouvaient livrés – mais qu’ils semblaient singulièrement supporter avec la même indifférence. Et c’est seulement plus tard que sont venues la souffrance et la honte ».
Quant à Philippe Forest lui-même, il écrit ce livre « afin de faire s'étendre sur (s)on existence l'oubli au coeur duquel se conserverait sauf (s)on souvenir le plus vif ».
Outre l’histoire elle-même, vraiment émouvante, j’ai aimé et admiré le très beau style de Philippe Forest.