Verre cassé d'Alain Mabanckou

Voilà quelqu'un qu'on peut vraiment qualifier d'écrivain!! Ca faisait longtemps que je n'avais pas lu un auteur contemporain aussi créatif. J'ai ouvert ce livre à reculons, rebutée par avance par son absence de ponctuation : je savais que j'allais trouver des virgules, mais aucune majuscule et aucun point, un peu comme dans ces passages que j'avais trouvés imbuvables dans Belle du Seigneur... du moins le croyai-je.
Cette liberté dans l'écriture ne m'a finalement absolument pas gênée, bien au contraire. Alain Mabanckou a une verve incroyable, il joue avec les mots comme un virtuose! J'ai été conquise par ce style truculent.
Une autre particularité de ce roman est son foisonnement de références littéraires : il y a des titres d'oeuvres cachés partout, c'est un véritable jeu de piste!! J'en ai relevé quelques-uns, pour vous montrer l'éclectisme des références de l'auteur qui doit être un vrai dévoreur de livres : L'aventure ambigüe, Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part, Le loup des steppes, On ne badine pas avec l'amour, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Mort à crédit, Qu'est-ce que la littérature, Les noces barbares, Cent ans de solitude... Et on trouve aussi des références un peu plus originales, comme l'évocation de paroles de chansons de Brassens (le "chanteur à moustaches") ou encore "n'oublie pas mes petits souliers". Cette petite chasse aux trésors m'a beaucoup amusée!
Je ne parlerai pas de l'histoire, qui est en fait un enchevêtrement d'histoires, puisque Verre Cassé se fait le rapporteur des récits de plusieurs clients du bar Le Crédit a voyagé. Je me contenterai de vous retranscrire ici un extrait du roman, lorsque Verre Cassé donne sa propre vision de l'écriture :
"j'ai aussi dit à l'Escargot entêté que si j'étais écrivain je demanderais à Dieu de me couvrir d'humilité, de me donner la force de relativiser ce que j'écris par rapport à ce que les géants de ce monde ont couché sur le papier, et alors que j'applaudirais le génie, je n'ouvrirais pas ma gueule devant la médiocrité ambiante, ce n'est qu'à ce prix que j'écrirais des choses qui ressembleraient à la vie, mais je les dirais avec des mots à moi, des mots tordus, des mots décousus, des mots sans queue ni tête, j'écrirais comme les mots me viendraient, je commencerais maladroitement et je finirais maladroitement comme j'avais commencé, je m'en foutrais de la raison pure, de la méthode, de la phonétique, de la prose, et dans ma langue de merde ce qui se concevrait bien ne s'énoncerait pas clairement, et les mots pour le dire ne viendraient pas aisément, ce serait alors l'écriture ou la vie, c'est ça, et je voudrais surtout qu'en me lisant on dise "c'est quoi ce bazar, ce souk, ce cafouillis, ce conglomérat de barbarismes, cet empire des signes, ce bavardage, cette chute vers les bas-fonds des belles-lettres, c'est quoi ces caquètements de basse-cour, est-ce que c'est du sérieux ce truc, ça commence d'ailleurs pas où, ça finit par où, bordel", et je répondrais avec malice "ce bazar c'est la vie, entrez donc dans ma caverne, y a de la pourriture, y a des déchets, c'est comme ça que je concçois la vie, votre fiction c'est des projets de ringards pour contenter d'autres ringards, et tant que les personnages de vos livres ne comprendront pas comment nous autres-là gagnons notre pain chaque nuit, y aura pas de littérature mais de la masturbation intellectuelle, vous vous comprendrez entre vous à la manière des ânes qui se frottent entre eux"".
C'est en entendant Bernard Pivot chanter les louanges de ce livre à la télé que je suis allée l'acheter... bien m'en a pris, et vivent les émissions littéraires, lorsqu'elles donnent de si bonnes inspirations d'achat :-)
Livre lu dans le cadre de mon défi "célébration d'auteurs".