La nuit des calligraphes de Yasmine Ghata
" Ma mort me fut aussi douce que la pointe du roseau trempant ses fibres dans l'encrier, plus rapide que l'encre bue par le papier. "
Ainsi parle Rikkat, la calligraphe ottomane, d'une voix flottant entre ombre et lumière, alors qu'elle entreprend le récit de sa vie. En 1923, adolescente, elle sait déjà que rien ne pourra la détourner de la calligraphie. Pourtant, la même année, rompant avec l'Islam, la république d'Atatürk abolit progressivement la langue et l'écriture arabes au profit d'une version modifiée de l'alphabet latin. Serviteurs d'Allah et des sultans, les " ouvriers de l'écriture " sont mis au rebut et leurs écoles délaissées.
Dans l'une d'elles se croisent Selim, l'ancêtre virtuose, et Rikkat, chargée de fournir papier et roseaux taillés à ces vieillards tenus en mépris par le nouveau régime. Le suicide de Selim va sceller un pacte inviolable entre la jeune élève et l'art des calligraphes.
Je ne connais absolument rien à la calligraphie, pourtant en lisant ce livre, les calames et autres outils chers aux calligraphes me sont devenus familiers.
C’est un vrai plaisir que de lire ce roman. En peu de pages, Yasmine Ghata arrive à nous plonger dans l’univers des calligraphes. On perçoit la dimension sacrée de la calligraphie, tout ce que chaque aspirant calligraphe doit apprendre et apprivoiser avant de pouvoir prétendre à cette relation mystérieuse avec le Divin.
On suit aussi la vie de l’héroïne, Rikkat, qui s’épanouit bien davantage dans son rôle de calligraphe que dans celui d’épouse…
Yasmine Ghata a vraiment un très beau style ; elle arrive aussi à nous toucher et nous rendre Rikkat très attachante, peut-être parce qu’elle s’est probablement beaucoup investie dans l’écriture de ce roman qui raconte la vie de sa propre grand-mère.
J’ai aussi beaucoup aimé les intrusions des fantômes des calligraphes défunts dans la vie de Rikkat, surtout Selim le facétieux.